HORACIO CASTELLANOS MOYA
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HORACIO CASTELLANOS MOYA
L'homme apprivoisé
Traduction de l'espagnol (Salvador) de René Solis

" Il a toujours aimé s’asseoir aux terrasses des cafés et des bars dans les villes où il a vécu, regarder passer les gens, observer ceux qui l’entourent. Il apprécie de laisser son esprit divaguer, d’épier son voisin, d’imaginer son métier, ses occupations. Depuis l’époque où il était jeune journaliste, il est très fier de son flair pour détecter des flics en civil, des mouchards, des escrocs. Il a fait du pur produit de son imagination une qualité."

2022


2017

 

 HORACIO CASTELLANOS MOYA
Moronga
Traduction de l'espagnol (Salvador) de René Solis

"J’ai atterri à midi, le deuxième dimanche de juin, à l’aéroport Ronald Reagan, bien que je m’étais promis à moi-même de ne jamais utiliser cet aéroport portant le nom d’un individu aussi ignorant et criminel, mais on sait bien que les principes ne font pas bon ménage avec les poches vides, et non seulement le billet était moins cher et le trajet vers la ville beaucoup plus commode que si j’étais arrivé à l’aéroport Dulles, mais encore, en fin de compte, me mettre à comparer lequel de Ronald Reagan ou de John Foster Dulles avait été le plus toxique et nocif pour l’humanité afin de décider quel billet me convenait le mieux aurait été une bêtise."


HORACIO CASTELLANOS MOYA
Le rêve du retour
Traduction de l'espagnol (Salvadore) de René Solis

  "Pourquoi jusqu’à cet instant avais-je été tellement sûr que rien de mauvais ne m’arriverait si je retournais au pays alors que la guerre civile n’était pas encore terminée ? D’où m’était venu cet enthousiasme, ingénu et même suicidaire, qui m’avait fait envisager le rêve du retour non seulement comme une aventure excitante, mais comme un pas en avant qui me permettrait de changer de vie ? Qu’est-ce qui me faisait croire que les militaires salvadoriens comprendraient que je n’étais pas un militant guérillero mais un journaliste indépendant, qu’ils oublieraient facilement la flopée d’articles contre l’armée que j’avais écrits durant mon exil mexicain ? Des reproches au remords, le souvenir d’Albertico est alors venu me frapper durement, car il était évident que onze ans plus tard, je marchais sur les pas de mon cousin, retournant au pays pour y trouver une mort certaine, et encore plus stupide, car Albertico était conscient du risque qu’il encourait en raison de son militantisme communiste, et c’était pour cela qu’à ma question du pourquoi il retournait là-bas en pleine boucherie il m’avait répondu “parce que je suis trop con”, alors que moi j’étais en train de me comporter comme un imbécile, avec une inconscience et une naïveté bien plus grandes, c’était la seule explication à l’enthousiasme que j’avais manifesté jusque-là. "

2013


HORACIO CASTELLANOS MOYA
La servante et le catcheur
Traduction de l'espagnol (Salvadore) de René Solis

"Elle retourne vers le trottoir ; elle se demande de nouveau si c’est vraiment son petit-fils qu’elle a vu sur les barricades. Elle souhaite s’être trompée, mais une autre voix au-dedans d’elle lui dit que non, que c’était bien lui, même s’il avait le visage couvert. Et la chemise à carreaux et le pantalon en toile noire, comme ceux qu’elle lui repasse toutes les semaines. "

2011


2008

 HORACIO CASTELLANOS MOYA
La mémoire tyrannique
Traduction de l'espagnol (Salvador) de René Solis

"Le vieux Pericles assurait que la révolte chez lui venait de loin, que sa colère était un héritage maternel. Il était parvenu à cette conclusion au fil des ans et, à mesure qu’il vieillissait, il en était de plus en plus sûr. Son grand-père avait été un fameux général, chef du contingent indien et figure du parti libéral, fusillé par les conservateurs dans les années 1890, après avoir pris la tête d’une révolte. La mère du vieux Pericles, doña Licha, qui était alors une jeune fille de quinze ans et la fille aînée du général, avait été amenée à la place d’Armes pour assister à l’exécution de son père ; et la tête du général rebelle avait été plantée sur un pieu à l’entrée pour dissuader toute résistance chez les Indiens. “Je ne vois que ça pour expliquer la rage que je ressens parfois contre ces salopards”, m’a dit le vieux Pericles un soir où il était en veine de confessions. Ce qu’il n’avait pas dit, c’était qu’il était déçu qu’aucun de ses enfants n’ait hérité de cet esprit rebelle de cette colère envers les puissants, qu’il valorisait au plus haut point. "


2007

HORACIO CASTELLANOS MOYA
La diablesse dans le miroir
Traduction de l'espagnol (Salvadore) de André Gabastou

 "Ah, la voilà enfin ! Viens avec moi voir comment elle est. Regarde ces superbes gerbes ! Celle-ci, c’est celle de l’agence de pub de Marito. Je te l’ai dit, ma belle, c’est la plus belle robe, elle est magnifique, on l’a très bien arrangée, même le petit trou à la tempe ne se voit presque plus. Quelle calamité, la vie ! "


2006

HORACIO CASTELLANOS MOYA
Effondrement
Traduction de l'espagnol (Salvadore) de André Gabastou

 "Sept voitures ont suivi le corbillard jusqu’au cimetière. Doña Lena avait fait en sorte que le tombeau de famille soit prêt, propre, comme s’il l’attendait. La dernière fois qu’elle m’avait envoyé faire une réparation, trois mois plus tôt, elle m’avait demandé de construire un muret ou une cloison pour le séparer des tombes voisines, elle m’avait demandé aussi de nettoyer l’inscription du haut de la coupole : FAMILLE MIRA BROSSA. Doña Lena se plaignait des gens qu’elle trouvait dégoûtants, jetant des sacs en plastique, des paquets et diverses ordures qui finissaient par se coller à son caveau. Les deux frères (Francisco et Esteban) que doña Lena aimait, sa mère, don Erasmo et Pilarcita, la petite sœur jumelle de doña Teti, y étaient enterrés. Doña Lena avait parfaitement préparé son nid et il y avait aussi de la place pour doña Teti, Eri et Alfredito, mais leurs noms n’étaient pas encore inscrits. "


HORACIO CASTELLANOS MOYA
Déraison

Traduction de l'espagnol (Salvadore) de Robert Amutio

"Je ne suis pas entier de la tête, disait la phrase que j'ai soulignée avec le marqueur jaune, et que j'ai même recopiée au propre dans mon calepin personnel, parce qu'il ne s'agissait pas de n'importe quelle phrase, encore moins d'un trait ingénieux, en aucune façon, mais de la phrase qui m'a le plus frappé lors de la lecture effectuée pendant mon premier jour de travail, de la phrase qui m'a laissé stupéfait au cours de la première incursion dans ces mille cent feuillets imprimés presque sans blancs, déposés sur ce qui allait être mon bureau par mon ami Erick, pour que je me fasse une idée du travail qui m'attendait. Je ne suis pas entier de la tête, me suis-je répété, frappé par le degré de trouble mental dans lequel avait été plongé cet indigène cachiquel témoin de l'assassinat de sa famille, par le fait que cet indigène est conscient de la fracture de son appareil psychique pour avoir vu de ses yeux, blessé et impuissant, comment les soldats de son pays dépeçaient à coups de machette et avec une joie cruelle chacun de ses quatre jeunes enfants, puis se ruaient à la suite sur la mère, la pauvre femme déjà en état de choc d'avoir dû elle aussi voir de ses yeux comment les soldats transformaient ses jeunes enfants en de palpitants morceaux de chair humaine. "

2006


HORACIO CASTELLANOS MOYA
Là où vous ne serez pas

Traduction de l'espagnol (Salvadore) de André Gabastou

"Etendu sur le petit grabat, à bout de forces, vêtements froissés et barbe de deux jours, Alberto Aragon a vu entrer l'Infante, grassouillette, joufflue, pantalon ample et veste en toile de jean, la grassouillette qui s'est contentée de pousser la porte de cette chambre donnant sur une terrasse, cette grotte pour domestiques où elle vient de l'emmener, ce piège à rats où Alberto Aragon se pelotonne sur le petit grabat, entouré de caisses qui semblent, avec ses maigres biens, occuper entièrement un espace aussi exigu."

2003


2001

HORACIO CASTELLANOS MOYA
L'Homme en arme

Traduction de l'espagnol (Salvadore) de Robert Amutio

 "Les gars du peloton m’appelaient Robocop. J’ai fait partie du bataillon Acahuapa, des troupes d’assaut, mais, la guerre finie, on m’a démobilisé. Alors je me suis retrouvé comme l’oiseau sur la branche : à moi je n’avais que deux fusils AK-47, un M-16, une douzaine de chargeurs, huit grenades à fragmentation, mon pistolet neuf millimètres et un chèque équivalent à trois mois de mon salaire, qu’on m’a donné comme indemnité."


HORACIO CASTELLANOS MOYA
Le dégoût
- Thomas Bernhard à San Salvador
Traduction de l'espagnol (Salvadore) de Robert Amutio

"C’est pourquoi ça me fait rire que tu sois ici, Moya, je ne comprends pas comment tu as eu l’idée de venir dans ce pays, de rester dans ce pays, c’est une véritable absurdité si ce qui t’intéresse c’est d’écrire de la littérature, cela prouve qu’en réalité ça ne t’intéresse pas d’écrire de la littérature, on ne peut pas s’intéresser à la littérature et choisir un pays aussi dégénéré que celui-ci, un pays où personne ne lit de la littérature, un pays où le peu de gens qui lisent ne liraient jamais un livre de littérature, même les jésuites ont fermé les cours de littérature dans leur université, ça te donne une idée, Moya, ici personne ne s’intéresse à la littérature, et c’est pourquoi les jésuites ont fermé les cours, parce qu’il n’y a pas d’étudiants en littérature, tous les jeunes veulent étudier le management d’entreprise dans ce pays, ça oui c’est intéressant, pas la littérature, tout le monde veut faire des études de management d’entreprise dans ce pays, en réalité dans peu de temps il n’y aura plus que des managers d’entreprise, un pays dont les habitants seront tous des managers d’entreprise, voilà la vérité, voilà l’horrible vérité, me dit Vega. La littérature n’intéresse personne, et l’histoire non plus, ni rien qui ait à voir avec la pensée ou avec les humanités, c’est pourquoi les études d’histoire n’existent plus, aucune université ne propose d’études d’histoire, un pays incroyable, Moya, personne ne peut entreprendre des études d’histoire parce qu’il n’y en a pas, et il n’y en a pas parce que l’histoire n’intéresse personne, c’est la vérité, me dit Vega. Et il y a encore des hurluberlus pour appeler cet endroit “nation”, un non-sens, une stupidité qui ferait rire si ce n’était pas grotesque : comment peut-on appeler “nation” un endroit peuplé d’individus qui ne trouvent aucun intérêt à avoir une histoire ni à savoir quoi que ce soit de leur histoire, un endroit peuplé d’individus dont le seul intérêt est d’imiter les militaires et d’être managers d’entreprise, me dit Vega. Un énorme dégoût, Moya, un gigantesque dégoût, c’est ce que fait naître en moi ce pays."

1997


1996

HORACIO CASTELLANOS MOYA
Le bal des vipères

Traduction de l'espagnol (Salvadore) de Robert Amutio

"Et c'est à ce moment, tout à coup, alors que je venais d'éteindre la cigarette et me disposais à dormir, dans cette agréable somnolence, que je sentis ces viscosités qui se collaient à mon corps, glissant de façon lente, lente et répugnante. La terreur me paralysa. Il n'y avait pas de doute : c'étaient des serpents, des reptiles qui sait de quel genre, qui s'étaient tenus cachés dans les rainures de la voiture. Je restai immobile, essayant de maîtriser mon cœur qui battait la chamade, de reprendre mes esprits, de ne pas me laisser terrasser par l'horreur extrême. Je distinguai au moins une demi-douzaine d'ophidiens qui rampaient sur ma poitrine, autour de mes jambes, l'un d'eux passait maintenant sur mon cou, sous mon oreille gauche. "